.........attentats....afghanistan....riposte américaine....guerre chimique......

   l'analyse complète de la menace terroriste

 

 
     
   
accueil  
attentats aériens  
sécurité des aéroports  
trafic d'armes  
détournements d'avion  
les bombes  
la menace chimique  
réseaux financiers  
assassinats  
prises d'otages  
vivre comme un terroriste  
ben laden et son armée  
   

 

le problème de la dispersion et la circulation des munitions dans le monde


chapitre III
Le contrôle international de la circulation des munitions est-il possible ?

 

le domaine des munitions est techniquement et industriellement indépendant du domaine des armes à feu elles-mêmes. Dans ce sens, vouloir contrôler leur diffusion comme on voudrait contrôler celle des armes à feu est techniquement illusoire, puisque la technologie est accessible à tous, sans investissement particulièrement lourd. Cette problématique n’est pas neuve, et un pays voulant violer les réglementations internationales dispose toujours des moyens de le faire. Ici comme ailleurs, la réglementation vise d’abord à limiter les incitations à la prolifération plutôt qu’à en finir avec la prolifération elle-même. Par ailleurs, quel que soit le trafic abordé, la suppression technique de la prolifération est plutôt une affaire de rétorsion plutôt que de législation.

Toutefois, de nombreuses nations prolifèrent parce que cela est possible, sans chercher explicitement à nuire. D’autres s’abstiendraient, si une réglementation suffisamment contraignante existait, et si les gains générés par la prolifération ne valaient pas les pertes inhérentes à son illégalité. Dans ce domaine, qui relève de la politique des Etats et des organisations internationales, le contrôle des munitions ne diffère pas fondamentalement du contrôle des armes à feu. En effet, les unes comme les autres répondent aux même impératifs politiques, autant pour les Etats fournisseurs que pour les Etats acheteurs. Dans ce sens, d’un point de vue politique, on peut aborder le contrôle des munitions comme on aborde celui des armes à feu. Trois axes de réflexion se dessinent alors immédiatement. Quel est l’intérêt de la vente et de l’achat d’armes légères et de munitions pour les Etats du monde ? Quelles dispositions légales internes et externes ont été prises pour limiter le transfert de ces armements ? Quels sont les effets à attendre des systèmes mis en place et éventuellement à venir ?

Le principal obstacle politique à un contrôle efficace du transfert des munitions ne vient pas de la mauvaise volonté des Etats producteurs, à la demande excessive du marché, ou à un quelconque cynisme des marchands de canons, mais à l’état actuel du monde et à l’héritage culturel de nos sociétés. Les défenseurs d’une politique de contrôle se basent sur le constat effrayant que les armes légères tuent des centaines de milliers de personnes par an, déclassant tous les systèmes d’armes existant en tant que vecteurs de destruction massive (Depuis 1990, on cite le chiffre de plus de quatre millions de personnes tuées dans les conflits ou dominent les armes de petit calibre). Dans cette optique, il conviendrait de s’occuper des armes légères comme l’on s’occupe des armes nucléaires, bactériologiques, chimiques et de leurs vecteurs. L’objectif est louable, et susceptible d’obtenir des résultats. Après tout, la Convention sur les armes chimique est en passe d’imposer des réglementations sur une industrie éminemment duale, génératrice de capitaux et synonyme d’influence économique. Divers arguments vont cependant à l’encontre de ces espoirs.

Il est essentiel de ne pas perdre de vue que l’établissement d’un processus de contrôle et de réduction des armements sur les systèmes d’armes les plus létaux, tels que les agents chimiques et biologiques ou les vecteurs nucléaires, fait l’objet d’un relatif consensus. Dans des conditions de sécurité normales, la plupart des Etats sont prêts à se dispenser de stocker des systèmes de ce genre et commencent à redéfinir le rôle des armes de destruction massive dans leur système de sécurité. Les impétrants qui s’opposent à cette tendance générale sont peu nombreux, à l’exception notable de la Chine et de quelques dictatures et régimes totalitaires bien connus. Il en va tout autrement dans le domaine conventionnel, où l’essentiel des progrès actuels ne va que dans le sens de mesures de sécurité et de confiance, assorties de limitations mutuelles. En aucun cas il n’est question de désarmer, d’un moins pas au-delà d’un niveau de suffisance que chacun est libre d’apprécier. Blindés, aviations, marines entrent dans cette catégorie, ainsi que l’intégralité des armes légères. Mais ces dernières se distinguent des autres dans le sens ou elles jouent un rôle actif sur tous les théâtres d’opération, et qu’elles sont des instruments privilégiés des politiques de puissance de nombreux Etats. Dans ce sens, leur influence active est plus grande que celle des autres armes conventionnelles, qui acquièrent une fonction grandissante de dissuasion et non plus de projection.

Il peut sembler paradoxal d’affirmer que les armes légères sont plus essentielles à la politique de puissance des Etats que les systèmes lourds. Le paradoxe n’est qu’apparent. Du temps de la guerre froide, où la livraison d’armes lourdes étiquetait les récipiendaires à un bloc politique, et où la guerre n’était que le prolongement ultime d’une impasse politique, tel n’était pas le cas. Chaque pays pouvait construire son arsenal, intégrer paisiblement les systèmes d’armes reçus et éventuellement les utiliser. Le Moyen-Orient a fourni une illustration patente du processus, chaque guerre étant entrecoupée d’une période minimale de repos pour que les armées locales reconstituent leurs stocks, sans que quiconque –à l’exception des victimes désignées- ne songe à se demander quelle en était la finalité. Mais les temps ont changé. D’une part les grandes puissances hésitent à fournir à fonds perdus des systèmes d’armes toujours plus onéreux. D’autre part, il n’est plus possible à une puissance moyenne d’accumuler puis d’utiliser des armes lourdes, dans une optique clauzewitzienne, sans susciter la suspicion de la communauté internationale ou l’interposition de l’ONU, voire l’intervention d’une coalition ou d’une alliance. Les conflits se multiplient, mais les guerres organisées restent rares.

La raréfaction de la guerre et la multiplication des conflits implique un renforcement des systèmes d’armes légers. Le Pérou et l’Equateur, le Zaïre, la Sierra Leone, le Liberia, la Bosnie la Croatie, la Transcaucasie, le Cambodge, sont autant de théâtres d’affrontement où blindés, aviation, C3I, intégration interarmes sont absents, l’essentiel du conflit reposant sur la faculté de mobilisation de combattants individuels, éventuellement soutenus par une quelconque artillerie et par une hypothétique aviation. De fait, le meilleur moyen d’altérer l’équilibre régional entre les puissances réside dans la constitution de milices et de forces légères, qui déstabilisent les Etats par une insécurité croissante. Ceci est d’autant plus vrai que les pays victimes de ces procédés sont le plus souvent des nations pauvres, disposant de faibles moyens de défense et  sujettes à une atomisation de l’Etat et de la société qui favorise l’éclosion de groupes d’opposition armés. En 1997, vingt-six des vingt-sept conflits recensés dans le monde étaient de nature interne ou infra-étatique. D’où l’importance grandissante des armes légères.

Cette tendance pourrait s’atténuer si les divers Etats de la planète avaient renoncé à leur politique de puissance. Dans un monde idéal, où chacun reconnaîtrait à son voisin le droit d’exister, le sort des milices et autres escadrons de la mort serait vite réglé. Mais tel n’est pas le cas. Non seulement les puissances régionales n’ont pas renoncé à s’étendre au détriment de leurs proches, mais les grandes puissances continuent à considérer qu’elles disposent de zones d’influence qui les autorisent à intervenir. Dans ce contexte, le transfert d’armes légères prend une dimension fondamentale, en particulier pour les nations occidentales. Ces dernières hésitant à s’engager sur des théâtres d’opération risqués, il est devenu courant pour elles de se servir des autochtones pour y faire la guerre à leur place. En fait, depuis l’Administration Nixon, tout conflit impliquant sérieusement les intérêts occidentaux (mais aussi russes, et chinois) est d’abord ‘’vietnamisé’’, l’intervention directe n’étant envisagée qu’en tout dernier recours. Le sort tragique des soldats américains et français au Liban en 1983 n’a fait que confirmer cette tendance, et l’exemple de la Yougoslavie en est un archétype actuel. Ainsi, si l’OTAN a engagé ses forces en 1994 pour contraindre la Serbie à accepter un règlement politique de la crise bosniaque, elle ne s’est contentée que de bombardements aériens. Le sale travail a été exécuté par les forces bosniaques et croates, équipées de matériel obligeamment fourni par les Etats-Unis et par l’Allemagne (sur les stocks de la NVA), en sus d’une expertise technique. Le rôle des fournitures d’armes légères en tant que vecteur d’influence politique a ainsi implicitement été reconnu par l’Administration américaine quand le président Clinton a déclaré en 1994 : « 
transfers of conventional arms [are] a legitimate instrument of U.S. foreign policy deserving U.S. government support when they enable us to help friends and allies deter aggression, promote regional stability, and increase interoperability of U.S. forces and allied forces ». Dans un beau mouvement d’unanimité, le Congrès a lui aussi confirmé qu’il n’entendait pas abandonner les transferts d’armements comme moyen d’assurer la sécurité de ses alliés, insistant sur leur intérêt le cadre de la politique étrangère des Etats-Unis. Dans cette optique, le Congrès ne voit aucune objection à recourir à des transferts, mais, comme de bien entendu, dans le but exclusif de défendre la liberté des peuples opprimés.

Selon cette perception, et en dépit des précautions sémantiques morales de rigueur, les transferts participent donc des plus officiellement à une politique étrangère de puissance bien comprise, et somme toute particulièrement efficace. Ainsi les Etats-Unis justifient-ils la livraison de 21 millions de cartouches, 41 000 M16, 2000 mitrailleuses légères à l’armée bosniaque, en alléguant que s’ils ne fournissaient pas ces armes, l’Iran s’en chargerait. Dénonçant implicitement l’influence que l’Iran entend exercer sur les musulmans bosniaques par le biais des transferts d’armement, les Etats-Unis s’estiment donc fondés à se substituer à l’Iran, imposant leur propre influence sur une zone jugée sensible, au détriment d’un pays hostile. Il va de soit que l’on retrouve ce schéma d’application tous les pays du monde qui aspirent à jouer un rôle international, dictatures incurables et démocraties modèles étant pour une fois réunies dans le même idéal. Il est particulièrement significatif de noter que les inoffensifs Pays-Bas ont fourni des équipements militaires à leur ancienne colonie du Surinam, dans le but possible d’éviter un coup d’état militaire.  Dans le domaine des transferts d’armements, il n’existe pas de pays pires que les autres. Il n’y a que des priorités, selon les zones d’influences à préserver.


L’approche qui est faite du micro désarmement dans les instances internationales traduit la reluctance de bon nombre des Etats du monde à renoncer à ces pratiques ancestrales. D’une part, la majorité des codes de bonne conduite et des moratoires adoptés ça et là demeurent peu contraignants. D’autre part, les principaux pays producteurs, y compris occidentaux, n’entendent pas s’engager outre mesure. Ainsi, il est significatif que l’OTAN, consulté sur l’opportunité d’un micro-désarmement, ait clairement éludé le problème en rejetant la responsabilité sur d’autres. Les mêmes réticences se retrouvent au niveau individuel. Il est difficile de connaître la politique des Etats européens en matière d’exportation d’armement au-delà des déclarations de bonnes intentions contenues dans les codes de bonne conduite récemment adoptés et des législations internes, souvent insuffisamment appliquées. Ainsi, le questionnaire de l’ONU portant sur le contrôle des munitions adressé à la majorité des membres de communauté internationale n’a reçu que peu de réponses. Si l’on excepte des pays qui ne disposent pas d’industries significatives, comme les Samoa, la Principauté de Monaco (qui a fourni les documents les plus complets sur son fabuleux stock de 9mm et 7.65mm) ou l’île Maurice, qui ont obligeamment répondu, les seules réponses ayant quelque valeur viennent du Canada, du Danemark, de la Yougoslavie, de la Lituanie, du Portugal, et de l’Espagne. Aucun des grands producteurs de munitions ou d’armes légères ne s’est manifesté (à l’exception des laconiques réponses allemandes et britanniques, dénuées d’intérêt), et seul le Portugal, qui peut être considéré comme un producteur de taille moyenne, a daigné fournir des réponses extensives. Pour les autres, l’éventail des réponses dénote bien des réticences de ces Etats à s’engager dans un processus d’information. Ainsi, en dépit de leur politique activiste en la matière, la Suisse et le Canada sont restés très réservés sur leur politique d’exportation et la gestion de leurs stocks. La Suisse, généreuse en conseils divers dans la plupart des conférences, n’a fourni aucune donnée chiffrée sur ses stocks, importations et exportations et s’est contentée de fournir le texte de sa déclaration de Tokyo, portant sur les armes légères et sans aucun rapport avec les munitions. L’Allemagne a fait de même, fournissant un article à peine plus précis. Le Canada est quant à lui demeuré très vague sur ses exportations et sur ses capacités de production, alors que la réponse britannique est totalement inutile, ne portant que sur des données déjà connues. La Norvège, autre nation activiste connue ne s’est pas manifestée à cette date, de même que les grands producteurs occidentaux, moyen-orientaux ou asiatiques.

Non content de dénier toute information sérieuse aux organisations internationales, les politiques de transferts d’armements de la majorité des grands producteurs demeurent entourées d’ombres, et restent souvent en contradiction avec les discours officiels tenus par les gouvernements. Les Etats-Unis, qui sont l’une des rares nations à faire preuve de transparence dans le domaine, en publiant le volume de leurs exportations d’armement, refusent de préciser ce qu’il en est pour les opérations clandestines, atténuant quelque peu la portée de la mesure puisque celle-ci jouent un rôle essentiel dans la politique de transfert américaine vers les zones de crise. De surcroît, en dépit d’engagements verbaux de l’Administration de conditionner la vente d’armements au respect des droits de l’homme, engagement accompagné de la signature de la convention de l’OAS sur les transferts d’armes légères et par un durcissement des lois fédérales sur le courtage des armes par les citoyens américains à l’étranger, les Etats-Unis continuent à pratiquer une politique ambiguë, en particulier quand leurs intérêts vitaux sont en jeu. La guerre contre la drogue, nouvelle croisade morale de l’Administration depuis le début des années quatre-vingt-dix, justifie ainsi des transferts massifs vers l’Amérique du Sud, sous couvert de lutter contre les infâmes cartels. Ont ainsi été exportés, le plus légalement du monde, un million de cartouches, trente mille grenades, sept mille M-16 et trois cent soixante-quinze mitrailleuses vers la Colombie, dans un programme d’assistance à la lutte anti-drogue, alors que la violence armée dans ce pays est endémique, y compris du fait du gouvernement. Il n’y pas certes de quoi soutenir une guerre civile, mais le principe demeure. De même, dans une optique tout aussi légale, le Congrès a récemment soutenu un programme de financement incluant la fourniture d'armement en faveur des factions d’opposition en Irak, dans le but de renverser Saddam Hussein. Une démarche similaire avait déjà été entreprise en 1996, sous les auspices de la CIA pour un volume de soixante à soixante-dix millions de dollars, et avait tourné au désastre devant le refus américain de soutenir militairement l’offensive déclenchée par leurs partisans locaux. Par ailleurs, en dépit des engagements verbaux de l’Administration à moraliser les transferts d’armements, nombre de clients ‘’suspects’’ des Etats-Unis continuent à recevoir une aide militaire, tout en étant stigmatisés par les rapports officiels du Département d’Etat comme non démocratiques, policiers et autres qualificatifs appropriés. Ainsi, le Country Reports on Human Rights Practices de 1996 dresse la liste de ces régimes condamnés, liste sur laquelle apparaissent la Colombie (collusion entre des membres du gouvernement et les trafiquants de drogue), l’Indonésie (Timor, répression armée, violation des droits de l’homme), le Bahreïn et l’Arabie Saoudite (absence totale de démocratie, violation des droits de l’homme), l’Egypte (atteinte aux droits de l’homme, torture) et même Israël et la Turquie. Enfin, la politique des Transfert d’Armes Conventionnelles (Conventional Arms Transfers [CAT] Policy) définie en février 1995 par l’Administration démocrate continue à faire la part belle aux intérêts stratégiques du pays plutôt qu’aux considérations morale. Sans porter de jugement sur la justesse de la politique de l’Administration, on constate néanmoins qu’il existe en la matière un certain fossé entre les aspirations théoriques de la rhétorique publique de la Présidence ou du Département d’Etat et la réalité stratégique définie dans les documents officiels. L’intérêt bien compris des nations ne fait généralement que peu de cas des considérations humanitaires.


Les Etats-Unis ne sont pas seuls en cause. On trouve des exemples identiques de transferts d’armement à but politique de l’autre coté de l’Atlantique.  L’Allemagne, grosse productrice d’armes légères dispose d’une des législations les plus contraignantes d’Europe sur les exportations en zone de crise, législation qui semble devoir s’appliquer puisque la valeur des transferts d’armements de la République Fédérale est désormais inférieure à ceux de la Suède, après avoir été au second rang mondial au début des années quatre-vingt-dix. Toutefois, après avoir reconnu la Croatie (et de la Slovénie), l’Allemagne s’est diligemment occupée de sa survie militaire, pratiquant des transferts massifs de matériels lourds et légers vers ce pays. T
roublante coïncidence, à la même époque l’Allemagne a transféré vers la Turquie un stock de quatre-vingt-trois millions de cartouches 7.62x39mm, d’une utilité très relative pour les fusils G-3 en dotation dans l’armée turque (utilisant du 7.62x51), mais très adaptées, par un heureux hasard, aux AK-47 utilisées par les Bosniaques et les Croates. Il est très probable que l’Auswärtiges Amt ne s’est pas montrée très regardante sur les modalités de non-réexportation de ce stock, même s’il est ici impossible de le prouver. Là encore la démarche est particulièrement significative. L’Allemagne est en effet parmi les grandes puissances l’une de celle qui recourt le moins à la politique de projection armée. Puissance commerçante par excellence, ses sphères d’influences sont essentiellement d’ordre économique, contrairement à la France et au Royaume-Uni qui disposent aussi d’un réseau de clientélisme militaire. Les faits semblent cependant prouver que toute grande puissance, quelle que soit sa nature, et quelle que soit sa législation interne, peut être tentée de recourir aux transferts d’armements pour débloquer une situation de crise sur laquelle les moyens diplomatiques et économiques usuels sont sans effets. Qu’un pays aussi ‘’contraint’’ que l’Allemagne ait pu en faire usage illustre, par contraste, l’intérêt de la formule pour les autres puissances du globe. 

On comprend que dans ces conditions les forums internationaux, patronnés par les grandes puissances, tendent à allouer au trafic d’arme illégal l’essentiel de la responsabilité dans les massacres causés par les armes légères, sans chercher à connaître les effets des transferts légaux et semi-légaux (marché gris). Résolutions et conférences sont régulièrement organisées à l’ONU pour dénoncer les méfaits du marché noir, qui se définit comme un marché sur lequel les Etats n’ont pas de prise. Le président Clinton n’a-t-il pas déclaré lui même à la tribune de l’Assemblé Générale de l’Organisation que son pays ferait tout pour lutter contre les trafics illicites et le marché noir et gris? Mais s’il est vrai que le trafic est un facteur évident de déstabilisation, il ne faut pas surestimer son influence, en particulier par rapport au marché gris et aux transferts inter-étatiques. Etant donné le prix unitaire élevé (en regard des quantités nécessaires) des munitions modernes, toute faction désireuse de soutenir un rythme de combat élevé est contrainte de disposer de ressources économiques lui permettant de financer ses acquisitions et/ou de bénéficier de l’aide indulgente d’un voisin disposant d’une industrie d’armement capable de fournir des volumes de cartouches se chiffrant en dizaines de millions. Dans tous les cas, une source d’approvisionnement fiable est nécessaire. Le trafic d’armes y suffit rarement, à moins d’être sciemment organisé, comme c’est le cas actuellement dans certains territoires de l’ancienne URSS, ou de bénéficier d’une certaine couverture de la part des Etats producteurs. Bien souvent, les transferts sont le fait de sociétés qui disposent de courtiers internationaux et qui ne se montrent pas trop regardantes sur la destination de leurs produits. Presque aussi souvent ils sont le fait des Etats, le courtage étant alors assuré par les ministères de la défense et les services secrets nationaux. Les exemples abondent, de la Russie aux Etats-Unis, en passant par la Chine, Israël ou la France. Le transfert d’armements légers par des filières parallèles ne date pas d’hier et reste un des moyens privilégiés par les puissances régionales ou globales pour étendre ou maintenir leur zone d’influence sans s’engager ouvertement. selon Ruben José Lorenzo, Les Etats-Unis, et c’est à l’honneur de leur système politique, ont en partie révélé la teneur de leur trafic d’armes (légal) avec l’Afghanistan et avec les Contras dans le cadre de l’Irangate (trafic totalement illégal). Ce dernier cas souligne à l’évidence l’hypocrisie de la lutte contre ces trafics dès lors que l’on s’arrête aux intermédiaires. Les sociétés privées américaines coupables de trafic étaient couvertes par les services secrets, eux même sous mandat direct d’une partie de l’exécutif, en particulier au DoD et au NSC. Selon le principe de l’arroseur arrosé, les autorités américaines ont récemment intercepté un trafic impliquant directement des responsables officiels de firmes chinoises pour l’importation illicite d’AK-47 sur leur territoire. Là encore la collaboration de l’état chinois à ces importations forcées peut être suspectée. Ainsi, s’il ne faut pas négliger l’accroissement inquiétant du marché noir, en particulier quant il est en relation avec les organisations terroristes ou mafieuses, le rôle des Etats reste déterminant dès lors qu’une quantité significative de munitions est nécessaire pour le règlement armé d’une crise.

Dans cette perpective politique, un régime de contrôle efficace de transfert des munitions est-il souhaitable ? On constate que les pays occidentaux les plus activistes dans le domaine de la non-prolifération des armes légères sont aussi ceux qui n’appliquent pas de politique de puissance, tels que le Japon, la Norvège, la Suisse, le Canada, ou ceux qui s’estiment directement menacés par la prolifération anarchique des armes légères tels que le Mali, la Colombie et le Mexique. Par ailleurs, certains de ces pays, comme le Canada  et la Norvège, sont très présents dans les opérations onusiennes de maintien de la paix, où les forces d’interposition sont particulièrement exposées à l’utilisation abusive de ces armes. A l’inverse, les puissances traditionnellement interventionnistes, qui certes participent elles aussi à ce genre d’opérations, sont plus discrètes. Leurs troupes sont pourtant tout aussi exposées aux abus de la prolifération. Cependant, il apparaît clair qu’un contrôle trop étroit sur les transferts d’armement vers les zones de crise ne leur serait pas profitable. En effet, l’interventionnisme des grandes puissances se manifeste plus par les aides économiques à fin militaires et par les transferts d’armement que par l’interposition sur les zones de crises. L’utilisation de transferts massifs pour aider un gouvernement client en danger, ou pour armer une milice en rébellion, reste le moyen le plus sûr et le moins dangereux de protéger ses intérêts à l’étranger, et offre plus d’intérêt que la sécurité de quelques malheureux casques bleus. En admettant que toute faction armée qui entreprend de déstabiliser un Etat par une guérilla prolongée doit impérativement bénéficier de la complicité d’une grande puissance pour renouveler son stock de munitions (généralement par le biais du marché gris), et que le soutien à ces guérillas peut parfaitement se justifier dans nos pays démocratiques, le contrôle des munitions et des armes légères confronte les puissances interventionnistes à un dilemme. Soit elles renoncent à soutenir tout groupe armé, dans quelque pays que ce soit, soit elles s’autorisent à intervenir militairement (y compris par des interventions terrestres) dès que leurs intérêts sont sérieusement menacés. Ce dernier cas de figure étant généralement écarté, se pose le problème du renoncement au soutien aux groupes armés.

D’un point de vue éthique, un tel renoncement peut apparaître comme souhaitable. D’un point de vue moral, il l’est peut être moins. Depuis Locke, la philosophie politique occidentale reconnaît aux peuples le droit de se battre contre un pouvoir central abusif. L’exemple récent de la Yougoslavie tend à démontrer que ce principe, quelque peu négligé depuis le milieu du siècle, retrouve une forte légitimité. Or, à moins de pratiquer un interventionnisme militaire direct, le transfert d’armement aux populations reste le dernier moyen pour un peuple de se débarrasser d’un pouvoir dictatorial hostile. Le cas actuel de la Bosnie et à moindre égard du Kosovo est un exemple flagrant de cette politique de déstabilisation armée d’un régime trop ouvertement homicide, dont la subsistance à nos frontières semble incompatible avec nos devoirs moraux. Il va de soi qu’au-delà de ces principes généreux se mêle une lourde part de politique de puissance, puisque de telles entreprises ne  s’exercent qu’à l’égard d’Etats relativement faibles, et non en l’encontre des puissances importantes. Le fait n’en demeure pas moins que l’abandon d’une politique de transferts d’armement vers les zones de crise implique l’abandon de populations entières, prêtes à se battre pour nos principes, mais dépourvues de moyens face à des gouvernements qui disposent de tous les recours offerts aux Etats souverains pour s’armer, puis les exterminer.

En fait, l’état actuel du monde ne laisse pas de choix réels aux grandes puissances. L’acceptation unilatérale d’un système de contrôle sur les transferts les expose à une perte d’influence au profit d’Etats non-signataires, et à la renonciation à un habitus politique vieux de plusieurs siècles. La perte d’influence peut être extraordinairement rapide. Les conflits au Zaïre et dans la région des Grands Lacs démontrent très clairement que des puissances moyennes adossées à de généreux pourvoyeurs sont parfaitement aptes à se substituer aux ex-puissances coloniales dès lors que les secondes renoncent à financer et armer les factions en rébellion et que les premières prennent le relais. On a beaucoup glosé en France sur son effacement politique dans la résolution de la crise du Zaïre, prêtant aux Américains de classiques intentions impérialistes. Mais si le rôle des Etats-Unis n’est pas innocent, on a moins souligné que les pays limitrophes à la zone de conflit se sont empressés de jouer les relais, et que leur volonté à s’engager à largement concouru à l’affirmation de leur présence, en tant que puissances locales. Par ailleurs, le rôle de l’Afrique du Sud, dont la qualité de pourvoyeur d’armes continental est soigneusement occultée par la personnalité lénifiante et moralisatrice de Nelson Mandela, devrait être soigneusement étudié. Sur d’autres théâtres, des pays comme la Chine, le Pakistan peuvent suppléer localement à des embargos occidentaux, privant ceux-ci d’un levier important dans leurs relations avec les Etats concernés. Le régime birman, confronté depuis plusieurs décennies à une guérilla sporadique, peut se passer de fournitures occidentales. Si l’Allemagne, qui collabore avec la Birmanie dans la production de munitions par l’intermédiaire de la société Fritz Werner, devait suspendre ses opérations, la Chine fournit déjà armement et sites de fabrication et risque de se montrer moins sensible à d’éventuelles prises de conscience d’ordre moral. De ce point de vue, le problème est quasi insoluble. Alors qu’un embargo sur les armements lourds peut avoir des effets dissuasifs et contraindre un Etat récalcitrant à s’aligner sur les exigences de l’Etat vendeur, un embargo sur les armes légères n’a que peu d’effets politiques. Les pays qui fournissent peuvent exercer une influence ; ceux qui leur refusent risquent d’être ignorés.

L’effet très relatif de la suspension unilatérale du transfert d’armements légers est évident. Lutter contre la prolifération dans ce domaine est en effet extraordinairement difficile, puisque la prolifération a déjà eu lieu depuis bon nombre d’années. Les pays occidentaux, l’URSS et la Chine ont cédé leurs licences de fabrication et vendus des usines clef en main à travers l’ensemble du globe, et ne disposent plus des moyens de contrôler la politique des Etats récipiendaires. N’importe quel pays modérément développé peut produire ses cartouches de 7.62 ou ses AK-47 et essaimer ses productions vers des zones limitrophes sans qu’aucune politique de restriction technologique puisse l’en empêcher. Une politique de restriction unilatérale se révèle alors économiquement négative et politiquement nuisible, en particulier si les Etats adhérants à une politique de contrôle perdent des marchés au profit d’Etats leur étant politiquement hostiles.

On comprend que dans ces conditions, les Etats occidentaux les plus concernés tendent à défendre l’établissement de mesures de contrôle relevant plutôt des MDCS que d’une limitation effective des transferts. Les problèmes sont pourtant clairement identifiés, et tout tend à prouver que la communauté internationale à pleinement conscience que des mesures de type MDCS ne suffiront pas. Ainsi, la conférence sur le désarmement et le développement tenue à Bruxelles en octobre 1998 fait un constat précis des mesures à prendre pour limiter la nocivité de certains transferts d’Etat à Etat
. Les mesures à prendre sont donc clairement identifiées. Un renforcement et une harmonisation des législations nationales, une transparence accrue dans les régimes de transferts, l’adoption de normes communes restrictives sur les exportations en zone de crise et envers les gouvernements aux pratiques condamnables, la mise en place d’une tutelle internationale renforcée apte à décréter et à faire appliquer moratoires et embargos à l’encontre de ces pays. De telles mesures requièrent, pour être réellement efficaces, plusieurs aménagements liés à la législation et à la politique interne des Etats. Trois domaines devraient être particulièrement révisés si l’on voulait véritablement proscrire les transferts massifs de munitions et d’armes à feu vers les zones de crises : la gestion des stocks de munitions existantes sous régime militaire ; le transfert usuel de la production industrielle ; et enfin la transparence sur ces transferts, par le biais d’une information complète vers les parlements nationaux ou d’un organisme indépendant compétent. En effet, ce n’est que lorsqu’une connaissance approfondie des capacités nationales sera connue qu’une législation internationale pourra prendre corps avec un minimum d’efficacité.


page 3/6 
lire la suite du dossier : "les stocks américains de munitions" >>>>>>