le problème de la dispersion et la circulation des munitions dans le monde
chapitre V
Le
contrôle de la circulation des munitions dans le monde
Le
premier maillon d’un contrôle international crédible passe par
l’établissement de normes législatives contraignantes sur
l’exportation de munitions. Dans ce domaine, les Etats
occidentaux disposent de règlements très divers, relatifs à
chaque pays et donc dépourvus d’unité internationale.
Toutefois, la volonté affichée des acteurs internationaux et
nationaux de moraliser le commerce des armements commence à avoir
des effets centralisateurs, dans le sens où les législations
tendent à se durcir, limitant, en théorie, les exportations vers
les zones de crises ou vers les régimes trop ouvertement
dictatoriaux. Les codes de bonne conduite, mais aussi les
déclarations unilatérales des gouvernants laissent donc à
penser que le transfert d’armements tend à se structurer et
surtout à se moraliser
.
Malheureusement,
la réalité ne va pas forcement dans ce sens. Si Aaron Karp peut
affirmer avec justesse que « le plus grand obstacle à
vaincre dans le contrôle du commerce des armes de petit calibre
n’est pas la puissance des contrevenants mais la faiblesse des législateurs
», cette vérité ne concerne pas les pays développés qui
disposent d’un arsenal législatif généralement suffisant pour
éviter les transferts les plus nuisibles. Si l’on prend
l’exemple des Etats-Unis, qui combinent la plus grande
transparence dans le domaine à une politique particulièrement
proliférante, on se rend compte que plus que les lois, ce sont
les insuffisances, ou la volonté délibérée de l’Exécutif,
qui permettent à la politique des transferts massifs de se
proroger. Comme dans la plupart des pays occidentaux, les
Etats-Unis disposent d’une liste d’articles relatifs à la défense
sur lesquels un contrôle administratif est exercé. Cette liste
dite ‘’Munition List’’, couvre évidemment les munitions
et les armes de petit calibre. L’exportation de ces systèmes
d’armes est soumise à une autorisation administrative qui relève
du Département d’Etat, par délégation directe de la présidence
et est gérée par le
Bureau des Munitions, relevant du Bureau des Affaires
Politco-militaires du Département d’Etat (Office of Munitions
Control, Bureau of Politico‑Military Affairs, Department of
State).
Au strict niveau administratif, cette délégation auprès du Département
d’Etat plutôt qu’au Département de la Défense limite en théorie
les risques de dérapages, les affaires étrangères étant
traditionnellement plus sensibles que la défense aux ventes
d’armes vers des régimes politiquement sensibles. En vertu du
code fédéral sur les transferts d’armes internationaux, (Code
of Federal Regulations; International Traffic in Arms Regulations),
toute exportation de matériel définie par la liste des munitions
est soumise à l’obtention d’une licence d’exportation, délivrée
par le Bureau du Contrôle des Munitions.
Parallèlement
aux sources privées, le gouvernement américain dispose de moyens
très officiels de transférer des armes par le biais des ventes
intergouvernementales, dites Foreign Military Sales (FMS), des
aides à l’acquisition des matériels
ou Foreign Military Financing (FMF), par les ventes
ordinaires de matériels militaires (Direct Commercial Sales, DCS),
mais aussi par le système des EDA (Excess Defense Articles) qui
permet la location ou le don de matériel de guerre nationaux en
excès. Une fois encore, le système américain se distingue des
autres par sa transparence, par l’existence d’un contrôle législatif,
mais aussi par la relative innocuité de ce dernier. Les FMS et
les FMF représentent en effet le moyen le plus couramment utilisé
par l’Exécutif pour transférer des armements. Ils sont donc
soumis à un contrôle parlementaire, tout comme les licences
d’exportations des industries nationales (DCS), ce qui est loin
d’être le cas dans les autres pays occidentaux. Par exemple, selon
une enquête parlementaire,1600 licences d’exportation entrant
dans le cadre des DCS auraient été accordées vers la seule Amérique
du Sud entre 1989 et 1993, pour une valeur de 100 millions de
dollars...En
fait, tant que le gouvernement américain garde une marge de manœuvre
suffisante sur les opérations clandestines, le contrôle
parlementaire ne peut s’exercer que sur les zones ou les
Etats-Unis n’ont que des intérêts économiques ou politiques
relatifs. Dès lors que la zone est jugée vitale par l’Exécutif,
les moyens de régulation parlementaires peuvent être détournés.
De plus, un interventionnisme trop poussé de la part des
parlementaires américains conduit souvent les victimes
potentielles à se détourner préventivement du marché américain
et à se fournir ailleurs, dégradant l’influence traditionnelle
exercée par les Etats-Unis.
Contrairement
aux Etats-Unis, où une relative transparence existe en matière
de transferts d’armements, l’Europe est encore à la recherche
d’une posture qui lui permettrait de concilier une politique
d’Etat avec un certain nombre de critères moraux. Dans ce but,
aux législations nationales, commencent à se greffer des codes
de bonne conduite aux effets plus ou moins appuyés et à
l’efficacité encore très contestable.
Les législations internes européennes ne connaissent encore
aucune unification. L’article 223 du Traité de Rome préserve
d’ailleurs l’indépendance des Etats en la matière, en leur
garantissant la liberté de prendre toute mesure adéquate dans le
domaine de la production et du commerce des armes et munitions
(art. 223 § b). Parallèlement, dans le cadre du même
article (art. 223 § a), les Etats ne sont pas tenus de fournir
des renseignements à ce sujet s’ils estiment que cela est
contraire à leur intérêt national. Dans ce sens, les Etats
européens ne seront pas contraints à se soumettre à de
quelconques mesures de transparence tant qu’ils considéreront
que le commerce et le transfert des armes et munitions obéissent
à une logique régalienne, plutôt qu’à un simple commerce.
Comme il a été évoqué précédemment, l’un des obstacles
majeurs à une évolution décisive dans la politique de transfert
réside dans la transformation de cette perception traditionnelle,
où la politique de puissance et d’influence se mêle étroitement
au commerce ordinaire.
Parmi
les grands producteurs d’armes, l’Allemagne est l’un des
pays ayant fait preuve de la plus grande moralité de principe,
moralité que la Chancellerie ne perd aucune occasion de rappeler.
Ainsi, contrairement aux Français et aux Britanniques, les
Allemands expriment en toute transparence leur approche du
transfert d’armement, sans se réfugier, comme cela est trop
souvent le cas derrière le paravent des textes législatifs et
des pétitions de principe auxquelles tous les Etats occidentaux
adhèrent désormais.
Cependant,
l’ ’’éthique politique’’ allemande est loin d’être
aussi évidente. D’un point de vu industriel, l’Allemagne ne
s’est pas privée de céder ses licences pour ses armes d’épaule,
sans trop chercher à contrôler les réexportations subséquentes.
La loi affirme pourtant que l’Etat fédéral se réserve un
droit de regard sur les réexportations de matériels construits
en coopération. De plus, et surtout, l’Allemagne n’a pas agi
différemment des autres pays dans ce qu’elle considère être
ses zones d’influence. Il se semble simplement que les ambitions
allemandes étaient plus mesurées que celles de leurs homologues
britanniques et français et que l’Allemagne s’est contentée
d’un rôle régional, dans laquelle elle a excellé. Ainsi, la
loi fédérale précise-t-elle que les ventes d’armes et les
coopérations internationales sont prohibées, sauf dérogation,
vers les zones de crise, mais qu’elles sont facilitées dans la
zone OTAN. Si, par un quelconque hasard, la zone de crise coïncide
avec un pays de l’OTAN, l’interprétation au cas par cas prime
sur la prohibition globale. De cette manière, le marché turc a
pu être largement fourni jusqu’à nos jours, alors que la
militarisation de la question kurde donne une dimension très équivoque
au respect des droits de l’homme dans ce pays.
Tout comme il a été dit pour les Etats-Unis, il ne s’agit pas
ici de porter un jugement sur les entreprises ou le gouvernement
allemand. A proprement parler, ce genre d’opération est de
politique courante, dans un milieu où la concurrence est telle
que les producteurs sont tentés de trangresser les barrières édictées
par les gouvernements, et où certains gouvernements eux-mêmes
peuvent être prèts aux mêmes transgressions. Le but de ces
exemples est de montrer que le contrôle des armes légères et
des munitions se heurte de plein fouet à des intérêts
industriels et politiques dans tous les Etats producteurs et que
la promulgation d’une liste de munitions interdites assortie
d’un code de bonne conduite bien tourné ne suffiront sans doute
pas à modifier fondamentalement la situation. Dans les trois
exemples abordés, on constate que, dans la majorité des cas, des
règles internes suffisantes existent pour réguler les
transferts, et, dans une perpective idéale, pour les moraliser.
Seuls font défaut les organes internes permettant de vérifier
que les gouvernements respectent leurs engagements. Il est donc nécessaire
qu’une ‘’tutelle’’ existe, tutelle qui peut être
appliquée par les parlements nationaux, ou par une autorité indépendante
spécifiquement désignée.
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